Encore une matinée
pleine d'appréhension au camping de Chaumont. Il ne manque plus qu'à
rassembler les carnets de photos, les post-it multicolores, acheter
des stylos et des boissons, prendre sous le bras droit le
paper-board, sous le bras gauche la planche d'exposition, et en route
pour un petit coin de rue, tout près du marché couvert en
centre-ville. Ce matin-là, c'est le photo-langage que nous proposons
aux habitants de Chaumont, afin d'engager une conversation autour de
différentes illustrations. Alors, mes chers amis, quel est le sens
de la vie, et qui est Dieu pour vous ? "Oulà, c'est
compliqué, vous m'en demandez trop !", il y a les sourires
gênés, les non-merci polis, ceux qui nous contournent, mais
certains s'approchent, intrigués, tandis que d'autres se prêtent au
jeu après notre interpellation. Certains ont du mal à héler des
gens dans la rue, alors que d'autres ont l'air d'avoir fait ça toute
leur vie !
Il peut naître de ces
approches de longues discussions : une fois de plus, ils veulent nous
parler d'eux, de leur vision du monde, de leur compréhension
personnelle de la vie, de leur perception de Dieu, de la religion,
des religieux. La photo d'un perroquet au creux des mains interpelle
de nombreuses personnes, qui font remarquer que la nature est belle,
et s'interroge s'il n'y a pas quelqu'un là-haut qui y serait pour
quelque chose. Une femme voilée, en plein ramadan s'approche elle
aussi, et laisse un mot sur un post-it bleu "Allah donne le
courage, la bonne santé et tout ça". La photo d'une porte
verrouillée fait surgir quelques souvenirs bibliques : "Frappez
et l'on vous ouvrira". Il n'est pas question de grands
débats théologiques, mais nous laissons libre-cours à la réaction
des gens que nous croisons, afin qu'ils puissent noter ce qu'ils
souhaitent : "L'entraide", "Le début d'une
vie nouvelle", "Dieu est amour", "porte
fermée ou porte à ouvrir?", "Qui suis-je"
? Il ne s'agissait pas ici de témoigner clairement de notre foi,
mais plus simplement d'aller à la rencontre des habitants, de faire
acte de présence comme pour affirmer que l'Eglise est là et qu'elle
se place au service et à l'écoute de la cité et de ses habitants.
Il fallait trouver de
l'ombre dans l'après-midi pour faire face à la chaleur écrasante,
tenter de somnoler, faire un tri dans les photos et dans les vidéos
du séjour, faire un débriefing, l'air de rien. Puis en fin
d'après-midi, armés d'un ballon de football, de raquettes, de
balles de ping-pong, c'était l'heure d'aller voir ce qu'il se
passait dans le quartier populaire de la Rochotte. Quelques enfants
étaient présents, à l'ombre, attendant que le temps passe, que le
soleil se couche ou se fasse moins piquant. Très rapidement, un
groupe de garçon s'est rassemblé sur le terrain de foot et a entamé
un match. Pendant ce temps, des filles, timides au début, ont tenté
l'apprentissage du tennis de table. On riait et on s'amusait, on
retenait plus ou moins bien les prénoms de chacun et de chacune, et
de plus en plus d'enfants arrivaient et très vite les six raquettes
étaient trop peu et il eut fallu deux ballons pour bien faire. On
s'intéressait à leur vie de quartier, à leur frères et soeurs, à
leur origine, à leurs vacances. Les enfants qui jouent à la
Rochotte ne sont pas du tout malheureux, ils se connaissent tous, et
forme un incroyable clan de gamins.
Une petite perchée sur
son vélo m'a demandé, "Mais toi m'dame, tu reviendras
demain pour jouer avec nous ?" "Euh, non..."
"Et la semaine prochaine ?". Moi, il n'est pas prévu
que je revienne, non, mais j'ai entendu dans cette question quelque
chose qui disait, merci c'est sympa d'être venu et on aimerait bien
que ça recommence, parce que c'est vrai qu'ici parfois on est un peu
livré à nous-même. Qu'il est bon de donner 3 heures de son temps
pour venir s'amuser, comme ça, gratuitement et sans arrière-pensées.
C'est vrai, c'est dommage d'avoir deux belles tables de ping-pong et
de s'en être jamais servi avant, parce qu’on n’a pas ce qu'il
faut ! L'Eglise a aussi sa place ici, au coeur de ce quartier, tout
simplement pour donner de son temps, affirmer la gratuité comme
évangile et regarder s'illuminer les visages.
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