Quand un monsieur qui n'avait jamais eu le temps de se promener au bord du canal le fait pour la première fois de sa vie en sortant de chez son banquier avec des idées noires et des montagnes de soucis, qu'il croise des étudiants protestants et les félicite de protester contre cette chienne de vie, qu'il accepte une boisson fraîche puis parle, longuement, de lui, de sa vie, de cette sale année qu'il a passée et du sens de la vie qui décidément lui échappe... quelque chose se passe, qui ne se serait pas passé autrement ni ailleurs.
Beaucoup moins impressionnés à présent à l'idée d'aller à la rencontre de tous, au hasard des pas qui poussent les uns vers les autres, nous avions installé notre petite table, nos boissons et notre quizz sur le protestantisme au bord du canal. Il était bien ce quizz, pour retrouver parmi plusieurs propositions les six grands principes du protestantisme ("Marie n'a pas existé", "Vade métro Satanas", "Sola Scriptura" et "C'est l'argent qui mène le monde", cherchez l'intrus), mais il n'a servi à rien, faute de public intéressé. Mais en reparlant ce soir de notre journée, on s'est dit que c'est nous qui avions besoin d'organiser à chaque fois quelque chose, une animation, une proposition, destinée peut-être à nous protéger nous, à cadrer cette fameuse rencontre toujours inattendue. Pas de quoi s'en inquiéter d'ailleurs, on en a besoin et c'est tout. Le principal reste qu'on se laisse bousculer dans ce cadre par la parole de ceux qui nous rencontrent ainsi, que notre propre parole ne s'en trouve pas enfermée et qu'une Parole puisse émerger au milieu de tout ça, parfois, de façon inattendue toujours. Il y a eu aussi une dame rencontrée la veille au marché et repartie le pas léger, un monsieur du voyage à la verve décapante, des enfants à vélo, des canards esseulés, des baigneurs à bouée crocodile dans l'étang à côté, un petit garçon en maillot de bain, des moments d'attente, du vide, des démonstrations de gestes du gendarme... Il y a eu tant de choses, dans un temps qui nous a semblé parfois vide. Il n'y a pas eu rien. Du simple fait de se rendre visibles et disponibles, quelque chose se passe.
L'Eglise visible : et si ça suffisait déjà ? L'Eglise qui se montre, qui se dit. Ce n'est pas très compliqué. Tous ces gens qui ne viennent pas dans nos temples reçoivent-ils ainsi quelque chose de l'Evangile ? ça, c'est une autre question qui reste au coeur de nos débats. On rechigne toujours à être explicites au sens où nous aurions en réserve un témoignage susceptible de convaincre ou d'"accrocher". Ce n'est pas simple, de dire où nous plaçons notre confiance. La simplicité du témoignage proposé par les Eglises évangéliques a pourtant, nous le sentons bien, le mérite de répondre à un besoin très fort, et on ne peut pas se contenter de dire que ça n'est pas notre théologie, il faut bien le prendre en compte. Alors comment faire en sorte qu'il puisse y avoir une rencontre qui ne comble pas simplement un besoin ?
Ce soir, nous étions invités à rejoindre un barbecue organisé par une communauté évangélique de Chaumont-Neufchateau-Epinal et nous avons parlé longuement avec Yannick, un des pasteurs. Il accompagne un camp de jeunes qui se sont lançés aussi dans l'évangélisation. Entrer chez quelqu'un pour demander un verre d'eau et parler... c'est si simple. Et c'est compter sur l'hospitalité, la demander. C'est toujours un risque. Risque de la rencontre, de la parole échangée. Du témoignage... Il y a quelque chose à penser là, et à vivre. Tiens, hier, notre texte de méditation c'était le début de Luc 10, l'envoi des 70 disciples. "Vous entrerez dans une maison"... Ces disciples sont appelés à annoncer la venue du Royaume de Dieu, avant même que Jésus n'arrive dans ces villes où ils passent. Et dans cette maison précise dans chaque ville, ils annoncent le Royaume de Dieu, ce qui les rend joyeux...
Qu'on entre dans une maison ou dans un moment partagé, on entre dans l'intimité des gens. Il faut bien s'y faire. Il y a un moment où il n'y a plus que le moment singulier de la rencontre. Nous avons écouté, donc, aussi, Yannick nous dire sa joie à partager la Bonne nouvelle, nous expliquer que c'est contre le péché dans le monde qu'il faut lutter pour améliorer ce monde, nous parler simplement et avec un sourire rayonnant de cette vie qu'il a mise au service du Seigneur.
Nous venons auprès de tous ces gens et sommes touchés nous-mêmes de ce que nous entendons. Ce n'est pas seulement que ça nous fait réfléchir et comprendre des choses sur nous-mêmes, ni que nous pensons autrement ce que peut faire notre Eglise pour aller au-devant de tous ceux qui n'en font pas partie sur le papier... C'est autre chose. On a du mal à mettre le doigt dessus. Peut-être que c'est normal.
Et puis c'est aussi, dans le quotidien, les fous rires autour d'une coupe de cheveux, le matelas gonflable qui se dégonfle, la tisane partagée à l'heure des étoiles filantes, la dent qu'une petite souris va bientôt venir chercher, le travail commun pour choisir des chants et établir le déroulé de la soirée "contes bibliques" de demain chez Eric. C'est encore la balade de demain matin, en forêt, à lire en plusieurs étapes le chemin d'Elie vers l'Horeb et ce qui s'ensuivit. C'est aussi la vaisselle et les courses, la popotte sur le réchaud, le café du matin, la douche trop froide et le soleil trop chaud. Le ciel plein d'étoiles à l'heure où chaque nuit l'un de nous finit le billet de blog du jour. La voiture dont il faut débrancher la batterie le soir. La prière commune. Les chants de table avant le repas. Les bobos. Les manies et le corollaire des amicales moqueries. Les projets des uns et des autres qui continuent pour chacun, le reste de l'été qui se profile, le moment du départ qui approche, l'orage prévu samedi.
Quand à savoir où tout ça nous mène, ça... ça ne nous appartient pas.
"Alors comment faire en sorte qu'il puisse y avoir une rencontre qui ne comble pas simplement un besoin ?" Quel est le sens que vous donnez au terme besoin?
RépondreSupprimerLa question, c'est de savoir si l'Evangile correspond à quelque chose dont les humains ont besoin, ou si au contraire il s'agit d'un bouleversement qui ne comble rien mais qui va toucher chaque être humain pour l'entraîner à vivre autrement leur manque. Notre identité est cachée en Christ, dit Paul : ce qui compte vraiment est ailleurs que dans ce qui nous comble ici bas...
RépondreSupprimerOn peut le dire comme ça, on peut le dire autrement. C'est ça la théologie !