vendredi 20 juillet 2012

Je me tais... ou pas ?


Va avec la force que tu as ! (Jg 6,14) Après tout, on n’a guère que ça...
Alors ce matin, à l’arrivée sur le marché de Toul, on se demandait... que faire, que dire, qui suis-je ? Ce fut, comme le dit l’un de nous, un grand moment de solitude au moment d’arriver sur le stand installé dans un coin du marché, entre un horodateur, une boîte à lettres de la Poste et un petit chariot de témoins de Jéhovah. Et en même temps, on était bien là pour mettre à l’épreuve de la réalité ce que nous avons vécu toute cette année dans notre réflexion sur l’évangélisation et au cours de ces deux derniers jours, dans la formation au témoignage. On avait peur, on n’avait pas envie de le faire. Toutes nos réticences poussées sur le côté revenaient en force. Nous, témoigner ?
Une table, donc, quelques chaises où personne ne va s’asseoir finalement, un parasol (qui remplira le rôle d’un parapluie pas très efficace), des thermos de café préparés par une paroissienne de Toul, deux bouteilles de jus de fruit, quelques tranches de gâteau, nos beaux gobelets ERF on Tour et CCC, voilà le cadre de la matinée. Autour, c’est un marché de province comme il y en a dans toutes les villes de France : des marchands de vêtements, et plus loin, quelques fruits et légumes, un boucher, des poulets qui rôtissent. A vrai dire, le marché, on ne va pas le voir. Mais les gens qui passent, oui. Ils contournent la cabine téléphonique, approchent de la boîte à lettres et passent le long de notre table en tendant le cou ou en détournant le regard.
« Vous voulez un p’tit café, un jus de fruits ? »
Certains ne répondent même pas, méfiants jusqu’au bout des ongles. D’autres hésitent, se demandant visiblement ce qu’on a à vendre, ce que c’est que cette étrange secte qui, sur un marché marchand, offre du café gratuitement. Et parfois, certains s’arrêtent. La seconde d’hésitation cède sur un sourire, un mot, un « pourquoi pas, tiens ». Ce sont des gens qui s’arrêtent et qui parlent. Comme s’il y avait là la possibilité de parler qu’on ne trouve pas ailleurs. On se présente, brièvement, ou parfois même pas... « on est étudiants en théo, on est venus voir la paroisse de Toul et puis on vient proposer du café ici... vous prenez du sucre ? » Ou alors : « on vient de la paroisse protestante, vous connaissez ? » Ou encore, plus brusquement, par une paroissienne d’ici qui n’a pas nos hésitations : « Dimanche, on fait un culte, je vous donne le papier, il y a l’adresse, il faut venir, c’est pour parler de la Bonne Nouvelle du Christ ! » Ceux à qui nous parlons, et qui nous parlent, finissent par rester un bon moment. Et parlent de leur vie. Nous quatre, nous écoutons. Il y a des histoires de vie très fortes qui se déroulent ainsi. Des méfiances envers la religion qui se disent par le récit d’une histoire familiale. Des gens cabossés par la vie qui parlent simplement de leurs parcours. Des mots qui ne peuvent pas se dire mais qu’on entend à mi-mots.
Il y a les gens qui se méfient et qui nous évitent. Les regards qui s’échappent. Et puis ceux qui passent au large et qui ne veulent pas qu’on leur parle, et qui sont pourtant ceux à qui nous « devrions » parler. Une fois ou deux, on parle, pourtant.
Finalement, notre peur de nous exposer nous empêchait de voir la soif que ces gens croisés ce matin avaient de se dévoiler, eux. Quand on annonce que les gobelets sont offerts, il n’y a pas de soupçon quand à la signification réelle ou supposée de ce geste, mais la surprise, et le plus souvent c’est accepté. Il y a aussi la surprise (enfin on s’en doutait un peu, mais on ne l’avait pas forcément vécu) de constater le capital de sympathie dont bénéficient les protestants. Certains disent avoir eu une éducation religieuse, s’excusant presque d’être catholiques, et voyant que ça ne nous semble pas particulièrement susceptible de nous choquer... disent qu’ils se sont toujours sentis proches du protestantisme, parce qu’une rencontre, un mot, un sourire d’un protestant un jour les a interpelés, parce que les valeurs du protestantisme leur parlent, parce que les dogmes catholiques, non vraiment, parce que les prêtres pédophiles... il y a parfois une violence qui couve, non pas forcément une réalité vécue dans l’Eglise, mais une souffrance intime et qu’on peut entendre autrement, qui se situe ailleurs. En quelques minutes, on ne peut pas entendre ni comprendre grand chose, c’est vrai, mais écouter un peu, entendre un peu... on peut. Semer, peut-être ?
D’une certaine façon, l’Eglise ce matin était un peu plus visible que d’habitude. Mais pas parce que nous, de l’Eglise, sommes allés la mettre dans la rue. Plutôt parce que tous ces gens croisés, c’est eux l’Eglise et que nous, nous les avons vus.
Alors, se taire, ou pas ? Nous voudrions témoigner que notre expérience de ce matin, qui nous a touchés nous, dans notre parcours, dans nos études, dans notre expérience de chrétiens engagés dans une Église, en toute modestie, nous a fait bouger de nos repères habituels. Oui, on peut témoigner. Et on peut le faire à notre façon. En étant nous-mêmes. On n’a pas livré, au fond, de témoignage poignant sur notre foi. Non, on a sans doute fait ça à la manière réformée, tranquillement, parce que c’est possible. On n’a pas changé la face du monde, c’est sûr. Mais on a peut-être compris quelque chose.
Sinon, ce soir, nous étions accueillis par l’Eglise locale de Nancy, dans un cadre donc qui nous est beaucoup plus familier. Réunion avec les pasteurs et membres du CP, échanges sur nos expériences, présentation de chacun. Là encore, une parole peut se dire, à laquelle nous sommes plus habitués sans doute, mais pas moins riche pour autant. Qu’est-ce qui fait que cinq étudiants (ou ex-étudiant pour Benji) ont eu envie de partir se frotter au travail de l’EPM, alors que ça ne rentre pas dans leur parcours universitaire ? Qu’est-ce qu’on a appris ? Quel regard on peut renvoyer sur cette expérience aux gens qui la vivent de près ? On s’est efforcés de répondre à ces questions.
Et le soir, nous proposions une conférence sur la laïcité. Rémi présentait le cadre légal, historique et contemporain de la laïcité à la française, puis Rémi, Eloïse et Nicolas (enfin arrivé, hourra!) se sont livrés à l’expérience du théâtre-forum, en proposant des sketches mettant en scène des situations inspirées de faits réels. La première, par exemple, opposait un professeur d’histoire et un parent d’élève scandalisé qu’on parle de Jésus dans un cours sur le christianisme du premier siècle.


Les spectateurs se sont transformés en un bel élan en acteurs pour proposer d’autres lectures de la situation en montant sur scène à leur tour remplacer un des protagonistes, dans une belle créativité, avec humour et perspicacité. Merci ! A vous tous, pour votre accueil, vos questions, le temps que vous avez passé à formuler aussi justement que possible vos questions quand à notre Église, à l’Evangile, au témoignage... Comme le matin, une parole vraie a résonné.
Dans l’Eglise, hors de l’Eglise... Des gens différents, des moments différents, des inquiétudes différentes. Mais au fond, une même interrogation fondamentale. Comment se dire vraiment, quand le nom de Dieu, le nom de Jésus, sont prononcés, ou simplement murmurés, comme sources d’une promesse de vie ?
Allons... avec la force que nous avons. Nous n’avons pas à en rougir. Nous pouvons croire que c’est par elle que Dieu agit. D’une manière ou d’une autre.

Allons, deux phrases du jour, pour dédramatiser un peu tout ça et vous dire aussi un peu de la joie qui règne par ici :

"Je ne peux pas dormir à plat, c'est pas possible" (Pasteur JCB, 20 juillet 2012, 15h03)
"Parfois, les poules ont les pattes moites" (Nico, 15h07)

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